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Petit, J.-F. (2022). Religions et sphere publique en Europe. Un retour sur les positions de Jürgen
Habermas. Cuestiones de Filosofía, 8 (31), 41-52.
https://doi.org/10.19053/01235095.v8.n31.2022.15086
La pensée de Habermas continue de faire l’objet d’une grande attention dans
la recherche. Depuis la publication en français de ses derniers écrits, notam-
ment le recueil de ses articles (2018a, 2018b), des thèses continuent à être
soutenues. Pour seul exemple, celle Crispin Solula Masunda à l’Université
catholique de Lyon en juin 2021. Elle avait pour titre l’usage public et régulé
de la raison (Solula Masunda, 2021). Parmi les objets de recherche, celle
de la place des religions dans l’espace public occupe une place centrale. A
l’heure où des conits nationalistes comme celui entre la Russie et l’Ukraine
font peser de grandes menaces sur la paix en Europe et dans le monde, il
est important de revenir sur les fondamentaux de la philosophie de Jürgen
Habermas, quitte à les dépasser d’un point de vue interculturel.
Rappelons les données de la question. Dans son livre majeur, Entre natu-
ralisme et religion, Habermas avait longuement discuté avec Rainer Forst,
professeur de philosophie politique à l’université de Francfort et de Thomas
Schmidt, professeur de philosophie de la religion à la même université et
Melissa Yates, de l’université Northwestern (USA) (Petit, 2005, 2009). De
nombreuses versions de ce texte, après des conférences dans le monde en-
tier, ont circulé avant sa publication dénitive en 2006. Sans représenter la
‘quintessence’ de la pensée de Habermas sur le sujet, il n’en demeure pas
moins l’une des pièces essentielles ayant nourri les études sur sa philosophie
et le travail en théologie qu’il faut ici appréhender aussi d’un point de vue
interculturel.
Avant cette prise de position désormais ‘canonique’, se dégageait déjà quatre
façons de comprendre Habermas en théologie: en établir une critique néga-
tive théologiquement fondée; produire une critique théologique de ses posi-
tions; élaborer une pensée théologique à partir de ses positions; faire une uti-
lisation théologique de ses positions (Arens, 1993). Dicile donc de passer
à côté du philosophe allemand le plus lu dans le monde, considéré comme
l’un des meilleurs défenseurs de l’Europe (Muller-Doohm, 2008), présent
récemment jusque dans l’analyse de la crise sanitaire mais dont les limites
paraissent de plus en plus évidentes (Habermas, 2020, p. 23).
La pensée d’Habermas, souvent très contextuelle et en réalité assez euro-
péocentrée, commence par un constat établi dans les années 1990: celui du
‘retour des religions’, ou plus précisément, en empruntant le terme à Peter
Berger, celui d’une ‘désécularisation’. De fait, bien des conits nationaux
ou ethniques ont instrumentalisé les religions à des ns politiques. Les