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Tambou, E. (2024). Penser l’altérité dans le soin: une réexion à partir de Levinas et
Ricoeur. Cuestiones de Filosofía, 9 (33), 131-146.
https://doi.org/ 10.19053/uptc.01235095.v10.n34.2024.17046
thématisation et conceptualisation. Dans cette logique, l’autre – le malade –
est considéré comme un objet de la médecine sur qui on peut agir à sa guise.
Cet enfermement ou anéantissement de l’altérité du malade est perceptible
dans un bon nombre d’actes de soins. C’est le cas par exemple d’un
soignant qui donne des antalgiques à un patient sans chercher à percevoir la
composante biologique ou psychologique à l’origine de son inconfort et de
son mal-être. Un tel soignant, selon la philosophie levinassienne, participe
à la réduction au Même de l’altérité du malade. C’est également le cas du
soignant qui, lors d’une consultation, s’empresse de délivrer une ordonnance
sans prendre en compte la réalité singulière et unique du malade à travers
le dialogue et l’écoute. D’après Benaroyo et al. (2013), lorsqu’on écoute le
malade, les traces de son altérité commencent à apparaître et ce dernier a le
sentiment qu’on s’intéresse à lui pour lui-même. Ainsi, on peut souligner
avec Levinas, qu’une médecine qui occulte l’altérité du patient ne peut
véritablement pas être soignante, car elle enlève toute trace de l’altérité chez
lui : condition essentielle à une rencontre entre le soignant et le patient. La
relation de soin est avant tout une rencontre entre deux êtres humains, et
le soin médical est toujours destiné à un être humain et non à un objet. À
ce niveau, l’éthique levinassienne invite à donner au malade la place qui
lui revient, son statut d’altérité dans la relation de soin. La relation entre
les êtres humains est quelque chose de non-synthétisable. La relation de
soin, par conséquent, ne saurait se réduire à la domination du soignant sur le
soigné à travers le processus d’objectivation. Elle se situe dans la rencontre
où l’autre – le malade – demeure « Autrement qu’Autre ». Il n’est pas objet
de connaissance dans la relation de soin. À cet eet, le soignant ne peut pas
le saisir, ni le dominer. Le malade n’aecte pas le soignant « comme celui
qu’il faut surmonter, englober, dominer, – mais en tant qu’autre, indépendant
de [lui] » (Levinas, 1974a, pp. 61-62). De ce qui précède, on peut déduire que
l’altérité du malade, son vécu et son expérience, ne sauraient être assimilés
à une approche biomécanique de la médecine. Le respect de l’altérité du
malade se traduit par le souci qui lui est accordé par le soignant. Lorsque
l’altérité du malade est respectée, ce dernier se voit ainsi investi d’un rôle de
premier plan dans la relation de soin. Il n’est plus dans l’anonymat.
Autrui se présente à moi comme visage sans se réduire à l’image que je
peux avoir de lui. Le visage ne renvoie pas aux traits caractéristiques d’une
personne qui s’ore dans le regard. Levinas le conçoit comme principe d’une